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Yves VUILLIOT, Agriculteur et Forestier dans l'Aisne parraine la nouvelle promotion de BTSA de Pierrefonds (Oise).

La nouvelle promotion des étudiants en BTSA (2007-2009) de Pierrefonds (Oise) a été parrainée cette année par Yves Vuilliot, agriculteur et dirigeant de la SARL Valeur bois et Environnement siégeant à la ferme pédagogique de Chantrud (Aisne). Yves Vuilliot est gestionnaire forestier, président de l'association des techniciens forestiers indépendants et membre fondateur de l'association "Pro Silva France" (sylviculture proche de la nature).

Le mercredi 21 novembre Yves Vuilliot a rencontré les étudiants à Pierrefonds durant 2 h 30. De par ses multiples compétences et activités, il était bien placé pour mener avec aisance un débat sur les enjeux actuels de l'agriculture, de la forêt et de leurs rôles dans le développement des territoires. De son avis d'homme de terrain ; il y aurait beaucoup à faire pour maintenir ou attirer les gens dans nos compagnes.

Il a ainsi donné son point de vue sur la filière bois et a analysé le marché des produits forestiers qui sortent de la forêt picarde, un marché qu'il  maîtrise bien du fait qu'il organise chaque année une vente groupée dans sa ferme à Chantrud (02).

Pour lui la transformation du bois en Picardie est trop faible. En outre, le plus incohérent c'est que la région exporte vers l'Italie ou même vers la Chine des produits bruts au lieu de faire une plus value en assurant une transformation de proximité qui pourrait créer des emplois au niveau local.

La matière première existe en Picardie avec environ 300 000 ha de surface forestière dont 94 % de feuillus et plus de 30 000 ha de peupleraies, première région au niveau national. L'exportation des grumes devient de plus en chère du fait des prix du carburant a précisé Yves Vuilliot. C'est pour cette raison qu'il est urgent d'investir dans la transformation en Picardie et d'attirer des jeunes vers ce secteur déserté.

Par ailleurs, la discussion a porté sur le secteur de l'agriculture biologique, en expliquant les avantages mais aussi les difficultés de produire à des prix abordables surtout pour les grandes cultures comme les céréales. Toutefois la demande croissante de produits "biologiques"est un facteur encourageant pour les agriculteurs qui veulent s'engager dans la filière. Mais il faut que le marché évolue du quantitatif vers le qualitatif.

Dans un autre domaine, l'agriculteur-forestier pense que la vulgarisation de ces métiers passe par la sensibilisation des plus jeunes. C'est ainsi qu'il anime régulièrement dans sa ferme pédagogique des ateliers ludiques pour les scolaires autour des arbres, du bois et de l'agriculture; une meilleure façon pour lui de sensibiliser d'une manière concrète à ces métiers garants du développement de nos territoires. Yves Vuilliot a, pour clore le débat, invité les étudiants, dont il est désormais devenu le parrain, à faire une visite dans sa ferme pédagogique mais aussi à participer à sa vente de bois qui se déroulera le 6 décembre 2007.

La rencontre avec les étudiants de Pierrefonds s'est achevée par la plantation d'un arbre symbolique « un Sapin de Nordmann » dans l'arboretum de l'Institut Charles Quentin, une autre façon de symboliser l'avenir.

A rappeler que l'Institut Charles Quentin assure trois formations de techniciens supérieurs agricoles : Protection des Végétaux, Technico-Commercial en Produits Alimentaires et Technico-Commercial en Produits d'Origine Forestière. Pour plus de renseignements sur les autres formations vous pouvez consulter le site Internet www.lycee-pierrefonds.com .

Saïd Belkacem : Enseignant coordonnateur en BTSA (30 novembre 2007)

 

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Le moulin de Chantrud !

 

Il n'y a pas de traces écrites d'un moulin à farine à Chantrud, néanmoins, on a retrouvé des meules sur le site ou dans les champs.

Les moines de l'abbaye Saint-Martin de Tournai qui ont établi une prévôté à Chantrud au XIe siècle avaient construit un moulin à eau sur la Souche à Brazicourt, hameau de Grandlup qui leur appartenait également.

A 1 km au sud-est de Chantrud, sur un promontoire calcaire, fonctionnait jusqu'à la fin du XIXe siècle un moulin à vent, appelé "le moulin de Sambrécourt" en souvenir d'un fief, aujourd'hui disparu", dont il dépendait. Tenu par la famille Pillois qui a habité les lieux jusqu'à la seconde guerre mondiale, il a fonctionné jusqu'à la fin du 19e siècle.

La première guerre mondiale a grandement contribué à anéantir toutes traces des moulins à vents dans les zones de combats. La plupart n'étaient plus en activité suite à la concentration de la fabrication de farine dans des moulins de plus en plus mécanisés. Ainsi le moulin de Verneuil à l'angle de la route de Chantrud et de la route nationale 2 était devenu une auberge. Mais leur position sur des sites élevés les avait transformés en points d'observation et ils étaient la cible des tirs d'artillerie.

Parmi les rares moulins à vent encore debout dans la région, on peut noter le moulin du Chêté au-dessus de Mons-en-Laonnois, résistant stoïquement à une végétation envahissante. Qui aura le courage d'en maintenir la présence pour les générations futures ?

 

Notre histoire familiale a été profondément marquée par la transformation du grain en farine.

Après la révolution française, nos ancêtres Brémont installés sur la commune de Coupéville dans la Marne achètent lors de la vente des biens dits "nationaux" le moulin des Ormes, propriété monastique située le long de la rivière "Moivre". Ils vont continuer la fabrication de farine,faisant évoluer les installations, jusqu'à la fin du XIXe siècle. En 1882, Edouard Abelé, diplômé de l'institut agricole de Beauvais, épouse Amélie Brémont et doit relever le défi de la modernisation indispensable face à la concurrence industrielle. Il installe un appareillage à cylindres et industrialise les cadences de production. Mais il décéde prématurément, en 1903, et la production de farine doit s'arrêter. Mon grand-père, Charles Abelé, qui n'avait que 10 ans à la mort de son père, reprend l'exploitation de la ferme après la première guerre mondiale mais le moulin n'était plus apte à produire de la farine.

Dans cette grande bâtisse à ossature bois d'aspect austère, on continue à entreposer du grain et à fabriquer, grâce à la force motrice de l'eau, de l'aliment pour les animaux de la ferme. Dans la maison qui fait corps avec le moulin, le mouvement de la machinerie transmet les vibrations. Pendant nos vacances, dans les années 1960, je me souviens du plaisir de sauter du lit pour aller assister à la montée des sacs, au réglage de la roue à aube, au travail des aplatisseurs. Ma grand-mère veillait bien que la toilette soit faite et le petit-déjeuner avalé mais ensuite c'était, sous l'oeil bienveillant du grand-père, la course sur le plancher de bois au-dessus de l'eau et dans les escaliers étroits, sous les plafonds bas, dans l'air saturé de poussière et l'odeur de grain chaud. La machinerie enlevait les sacs de 100 kg jusqu'au 3e étage grâce à la longue corde et la poulie. Le geste mesuré du servant arrêtait le corde et tirait le sac sur la plate-forme avant de le transporter au diable jusqu'à la trémie où il allait redescendre dans l'aplatisseur et se trouver à nouveau ensaché par un autre ouvrier au rez-de-chaussée

La valeur de la farine de blé, base de notre alimentation nous a marqués au point que nous n'avons pas voulu laisser aux autres le soin de la fabriquer pour nous. Lors de notre mariage, en 1978, le moulin à farine "Samap" a été notre premier appareil électro-ménager. Pour tamiser la farine, nous utilisions le tamis que M. Chefneux, le charron de Grandlup, avait fabriqué pour nos grands-parents pendant la seconde guerre mondiale. Et nous avons procédé ainsi jusqu'à cette année 2007 où, cédant à la demande de nos clients, nous avons commencé à fabriquer de la farine pour les autres.

Nous nous sommes alors équipés d'un moulin à meule de pierre de fabrication autrichienne, travaillant en ligne avec un tamis qui permet d'obtenir 5 types de farines plus ou moins fines.

La peine que nous prenons à cultiver notre blé "biologique", sélectionnant notre semence, chassant les corbeaux, luttant contre les oseilles et les chardons, récoltant en bonne date, triant, ventilant... s'exprime dans ce grain que la pierre va affiner pour qu'il puisse être pétri , cuit et devenir nourriture des hommes.

A Chantrud, un nouveau moulin tranforme le grain chargé de sueur et de savoir-faire en cette nourriture qui a façonné l'homme dans son évolution : la farine de blé.

Yves Vuilliot (5 août 2007)

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Le "calvaire" de Chantrud

 

Il ne reste pas de traces visibles du prieuré des Saints Simon et Jude édifié au XIe siècle à Chantrud (lieu-dit Cantruvis, le chant du ruisseau) par l'abbaye Saint-Martin de Tournai pour administrer ses terres du Laonnois.

Dès le XVIe siècle, devant l'insécurité des campagnes dans la région, les religieux ont acquis à Laon une maison pour y abriter l'administration de leurs biens et ont affermé les terres. D'abord à 3 fermiers puis à deux.

En 1787 et 1788, les fermes sont occupées par Antoine-Philbert BLOT et Etienne AUBERT qui s'en porteront acquéreurs en 1798 lors de la vente des biens mis sous séquestre, chacun pour la moitié qu'il exploite, l'autre moitié étant achetée par Henri-Etienne AUBERT, notaire à Vendeuil. (le même qui acheta l'abbaye Saint-Vincent de Laon).

Le 19 e siècle est marqué par une mutation profonde de l'agriculture.

Lorsque mes grands-parents, Charles Boquet et Jeanne Pommery, s'installent dans les lieux en 1911, quittant une ferme à Rogny où ils ont été incendiés, il ne reste plus qu'une ferme à Chantrud, mais le parcellaire en a été dépecé.

 

 

Pour marquer leur arrivée mes grands-parents font reconstruire la croix située à l'angle des chemins de Monceau et de Verneuil dont la présence est déjà attestée sur un plan de 1833 (1) . Cela donne lieu, le 15 août 1912, à une cérémonie avec procession, bénédiction et émission de cartes postales. Des bouteilles de bon vin sont insérées dans le socle du calvaire.

 

Cette croix est liée à la vie d'un grand homme de notre région. Le colonel Driant, né à Neuchâtel-sur-Aisne, député de Lorraine, héros des combats de Verdun, mort au Bois des Caures le 22 février 1916, était propriétaire à Chantrud. Le terrain sur lequel elle est édifiée appartient encore à sa famille.

 

Chantrud, comme toute la région, vivra le calvaire de la première guerre mondiale. Deux ans après la bénédiction, la guerre éclate. Après la bataille de Guise, les troupes allemandes déferlent sur le Laonnois. La famille Boquet essaiera, en vain, de fuir. Pendant 4 ans, elle sera otage des troupes allemandes. Consignés à 5 personnes, chez eux, dans 2 pièces,i ls devront nourrir l'occupant dans une ambiance contraignante. Pas de combat direct, mais au loin, toujours, le bruit du canon. Pour ma mère, qui devait se marier le 5 septembre 1914, il y a, en plus, l'absence du fiancé envoyé au combat sur le front d'Orient, et dont on est sans nouvelles.

 

Le 12 octobre 1918, les troupes allemandes lâchent prise sur le chemin des Dames et prennent position sur la ligne de repli qu'ils ont installée au nord de Laon : La "Hundingstellung". Cette ligne de défense, hérissée de réseaux de barbelés, ponctuée d'abris bétonnés armés de mitrailleuses traverse les terres au sud et à l'ouest de Chantrud. Elle a été édifiée en partie à l'aide de prisonniers russes. Pour avoir le champ libre et des otages, les Allemands déportent les populations civiles en Thiérache. La famille Boquet se retrouve à Eparcy, mais le fils Jean Boquet, 18 ans, sera emmené avec d'autres jeunes jusqu'en Allemagne.

Laon est libéré le 13 octobre par la 127 e division d'infanterie appartenant à la Xe armée du général Mangin. Mais elle est arrêtée dans sa progression par les défenses de la Hundingstellung. Pendant 5 jours l'artillerie française va pilonner ces positions pour créer des brèches dans les réseaux de barbelés et faire taire les mitrailleuses. Le 19 octobre à 5h30 l'infanterie du 172 e R.I. monte à l'assaut. La résistance est tenace, les pertes importantes et les prisonniers très nombreux. A midi, le lieutenant-colonel Michaud annonce que le bataillon Nicolle a pris position à la ferme de Chantrud.

Le calvaire est criblé de mitraille mais il a tenu dans l'apocalypse d'un automne pluvieux où les hommes devaient ramper dans la boue pour échapper aux rafales meurtrières.

La ferme est éventrée, mais sa souffrance n'est pas terminée. Les troupes allemandes vont tenir encore sur la Souche jusqu'au 5 novembre pilonnant les positions à l'arrière des lignes. C'est ainsi que le 3 novembre, un obus allemand atteint une compagnie de soldats noirs- américains, au repos dans une grange de la ferme, faisant 35 morts et 41 blessés.

Je pense souvent au retour de mes grands-parents enfin libérés, mais retrouvant leur ferme en ruine, transformée en charnier. Quelle prière pouvaient-ils dire au pied du calvaire, sinon pleurer ?

 

Pourtant la vie repartira. Ma mère retrouvera son fiancé, Lucien Vuilliot. Ils se marieront en 1919 pour rebâtir, reboucher, cultiver à nouveau et redonner la vie.

En 1924 la construction de la nouvelle ferme est terminée et deux enfants, Yvonne et Charles auront été présentés au calvaire pour préparer l'avenir.

 

Mais en 1940, après la "drôle de guerre", les troupes allemandes investissent à nouveau la France et c'est l'exode. Notre famille et une grande partie du personnel prend la route vers le département d'accueil : la Mayenne. En route nous rencontrons des gens de Grandlup qui nous annoncent que la ferme de Chantrud est détruite. Puis les troupes ennemies nous rattrapent et traversent la Loire. Alors mon père dit "S'ils franchissent la Loire, la France est perdue, autant rentrer chez nous voir si la ferme est vraiment détruite. Car je l'ai reconstruite une fois mais je ne recommencerai pas".

Nous parvenons à revenir malgré la désorganisation du trafic. Lorsque la voiture tourne au carrefour de Verneuil, mon père me demande de me dresser par le toit ouvrant de la 402 B afin d'apercevoir au plus tôt les toits de la ferme. Mais il n'y a pas eu de combats, les toits de tuile sont intacts. La ferme est encore debout et le calvaire aussi.

La ferme a été pillée, le cheptel est dans la nature mais peu à peu la vie reprendra. Il faudra résister à la volonté de l'occupant de vouloir tout organiser. Mais mon père n'était pas d'un tempérament à se laisser impressionner. Il avait fait la guerre 14-18 et c'était un argument que les officiers allemands respectaient.

En août 1944, quelques jours avant la libération, la ferme se trouve encerclée par un détachement de l'armée allemande avec des mitrailleuses en position de tir. Impossible de fuir. Tous les occupants, y compris mes 2 grand-mères de 74 ans, sont plaqués au mur sous la menace des mitraillettes. L'officier fait le tour de la ferme avec mon père, il y a des contrôles d'identité. Finalement n'ayant rien trouvé, l'officier fait lever le camp après avoir dit à mon père : "Vous avez fait l'objet d'une dénonciation". De fait la ferme ravitaillait le maquis d'Hirson et cachait des STO et c'est avec soulagement que nous avons vu les véhicules virer à l'angle du calvaire. La tension des troupes allemandes était telle que le moindre dérapage aurait pu tourner au drame.

 

 

Depuis la Paix est revenue et ce calvaire doit demeurer un témoin du combat nécessaire pour la conserver.

 

 

Charles Vuilliot (30 juin 2006)

 

(1) Rien n'interdit de penser qu'elle existait déjà au temps des moines et qu'elle est le lien entre l'ancien régime et l'époque moderne

 

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Du robinier pour la Savoie


Depuis 1998, la ferme du bois de Chantrud s'implique dans la construction en bois, ce qui provoque le doute, quelquefois le mépris et souvent une admiration mêlée d'impuissance. Oui c'est beau, mais ce n'est pas pour les particuliers.
C'est vrai, il reste peu d'artisans possédant les savoir-faire et puis le bois c'est du passé.
Depuis quelques mois pourtant, je sens le climat changer et le nombre des passionnés en recherche de bois pour leur maison augmente.
C'est internet qui allait nous mettre en contact avec plus passionné que nous. En février, Christian Neumüller, un Alsacien devenu chargé de mission au parc de la Vanoise, découvre notre site et nous interroge sur le robinier. Il a un projet de maison en ossature-bois, isolée à la paille. Après avoir trouvé des huisseries en robinier en Allemagne, il cherche des planches de robinier pour la lisse basse des murs et les encadrements des ouvertures.
La commande enfin prête ...Le robinier faux-acacia est un arbre de la famille des légumineuses, originaire d'Amérique du Nord, qui a été semé pour la première fois en France par Robin , jardinier du Roi Henri IV, en 1601. Par la suite, il s'est acclimaté dans toute l'Europe et colonise en priorité les sols superficiels, notamment sableux. Son bois riche en silice est très résistant à la pourriture, ce qui l'a fait utiliser en piquets de vigne ou de pâture, en charronnerie pour la fabrication des roues et généralement pour tous les usages réclamant un bois résistant à l'usure et à la pourriture.
Actuellement, en Allemagne, il est utilisé pour la fabrication des portes et fenêtres en remplacement des bois exotiques, afin de limiter la surexploitation des forêts tropicales. En France, pour le même usage, on privilégie le PVC, réputé sans entretien, oubliant au passage qu'il est issu d'une ressource non renouvelable : le pétrole, que sa combustion est toxique et son recyclage problématique.

... et l'embarquement pour la SavoieChristian Neumüller pour son projet d'habitation a pris en compte tous les paramètres écologiques. Pour abriter sa famille, il veut un environnement sain. Tout est au point, mais il lui manque des planches de robinier.
A Chantrud, nous avions plusieurs robiniers en attente d'être sciés dans le parc à bois, suffisamment pour faire face à la demande de Christian Neumüller, qui finit par passer commande faute de pouvoir en trouver plus près.
Nous allons donc nous atteler à scier une centaine de planches en épaisseur de 4 cm, en largeurs de 17 à 30 cm et en longueurs de 0, 5 à 3, 35 m.
Le robinier est un bois rarement très gros qui recèle de nombreux défauts et use rapidement les scies. Ce fut donc un gros travail pour notre petite unité de sciage, mais la satisfaction d'avoir réussi fut d'autant plus grande.
Le 10 mai Christian Neumüller vient prendre livraison de sa commande (1, 5 m3 soit environ 1200 kg), avec un véhicule de location. Il revient d'un stage en Bretagne ayant trait à la construction de maisons en paille. Quelle joie pour nous de faire sa connaissance et de participer à son projet. Maintenant les planches de robinier du Laonnois sont arrivées en Savoie, aux confins de la Maurienne et de la Tarentaise.

Nous suivrons l'avancement des travaux, et si l'occasion se présente, nous ne manquerons pas d'aller voir. La passion donne du relief à l'existence.

Yves VUILLIOT (11 mai 2003)

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Rusés et discrets


L'installation prochaine d'un atelier de poules pondeuses sur la ferme, a développé chez moi une méfiance vis-à-vis des prédateurs naturels qui seront tôt ou tard attirés par cette volaille uniquement protégée par une clôture.
Régulièrement, nous déplorions que toutes les populations de lièvres et de perdrix ne se développent pas, voire s'amenuisent, malgré tous les efforts entrepris pour aménager la plaine : haies, bandes de cultures, agrainage etc.

Les fox-terriers tiennent leur renardPour faire l'inventaire du territoire, nous faisons appel à 2 gardes-chasse qui déterrent les renards après avoir décelé leur présence au terrier à l'aide de chiens, justement appelés "terriers".

Ils interviennent le 3 mars et repèrent un premier renard dont le terrier se situe à moins de 100 mètres du corps de ferme. Le trou n'est pas très creux, le chien donne de la voix, on l'entend en se couchant sur le sol.
Le renard est acculé au fond du trou. Il reste à faire une ouverture à la bêche et à le capturer à l'aide de pinces, puis à le tuer.

C'est une méthode très physique qui demande une bonne connaissance des habitudes du renard et requiert de posséder de bons chiens. Mais l'issue de la chasse n'est pas évidente : les terriers sont profonds et cela peut durer longtemps. Parfois, il faut se résigner à abandonner.
Mais ce jour-là, les conditions furent bonnes puisque les gardes revinrent à la fin de la journée avec 4 renards. Nous ne pensions pas que le terroir (150 ha soit 1, 5 km x 1 km) pouvait abriter un tel cheptel de prédateurs.

Le renard est en vue mais il faut encore l'attraperNous n'étions pas au bout de nos surprises. En parcourant la plaine, nous repérons une nouvelle fréquentation des terriers. Le garde revient et, de fait, attrape une renarde et 5 renardeaux.
Le samedi suivant, nous sommes alors le 29 mars, 2 nouveaux renards sont déterrés. Ce qui nous étonne c'est l'implantation de terriers en plein champ cultivé. Ainsi, 3 renards ont été capturés dans un champ de blé sans relief de moins de 8 ha, dans 3 terriers différents.

Nous devons rester vigilants car si le territoire leur plait, les goupils reviendront.


Yves VUILLIOT (5 avril 2003)

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Enfin l'hiver !


Les perce-neige ont fleuris bien après la chandeleurAprès de nombreux hivers davantage pluvieux que froids, nous en venons à célébrer le retour de l'hiver, cette saison qui semblait perdue.
Depuis quelques années la chandeleur (2 février) marquait le départ d'un hiver qui n'était jamais vraiment arrivé. Alors que les discrètes perce-neige fleurissaient dès janvier, elles ont dû attendre pour éclore leurs boutons que la période de gel se termine, le 23 février.

Rappelons-nous la douceur de Noël et les pluies abondantes de la fin d'année 2002. C'était mal parti pour l'hiver, mais il est arrivé avec la neige dès la nouvelle année. Des gels pas très profonds, - 8 à -10° par chez nous, mais qui ont duré plus d'une semaine. Puis, quand le dégel a libéré la terre, la neige est restée présente au bas des talus exposés au nord.

"Celle-là en appelle d'autre" ont dit les anciens.
D'autre neige, "non", mais d'autre gel "oui". Pendant 2 semaines encore la température descendit jusqu'à - 7°. Il fallait se remuer pour chauffer la carcasse, approvisionner du bois au feu et manger des plats longuement mijotés afin de ne pas refroidir avant d'arriver au gosier.

Un mur de pierre abîmé par le gelPour se réconforter, on dit que c'est du bon temps pour tuer la vermine, éradiquer les limaces et exterminer les pucerons. Mais quand ce froid, pourtant pas exceptionnel, s'en est allé, on a découvert des cultures gelées, des murs dégradés, qu'il faudra bien soigner.

L'hiver vient faire du neuf, il travaille les terres qui seront faciles à apprêter au printemps. Ainsi, à peine le gel était-il terminé, les engins agricoles ont repris le travail et dès la fin-février une grande partie des céréales de printemps était semée.


Yves VUILLIOT (3 mars 2003)


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La mésange et le scieur

Pour mettre sa couvée hors de danger,

Une mésange bâtit son nid douillet

Dans l'appareillage d'une scie de long,

Bien à l'abri derrière les protections.

Le scieur s'était souvent étonné

De voir la mésange s'envoler,

Alors qu'il mettait en marche la scie

Pour découper dans les troncs ses débits.

Le bruit épouvantait le frêle oiseau

Qui revenait dès la scie au repos.

Un matin, sur le lieu de son labeur,

Des cris d'oisillons attirent le scieur.

Emu par cette ténacité d'oiseau,

L'homme mit plusieurs jours sa scie au repos,

Reprenant sa tâche lorsque la nichée

Emplumée se fut enfin envolée.

Heureux d'avoir hébergé les mésanges,

L'artisan dut se fâcher sans mélange

Quand l'oiseau vint à nouveau pour couver :

"Je n'peux encore arrêter de scier"

La mésange prit son vol brusquement,

Heurtant au vol la scie en mouvement

Pour terminer sa vie dans les copeaux,

Sous les larmes du scieur au coeur gros.

N'abusez pas des élans de bonté,

Ils sont forcément toujours limités.

Yves Vuilliot 30 juin 2002

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Le renouvellement de la vie

Au début du mois, en procédant à une tournée d'observation dans une jeune peupleraie, le nez en l'air à la recherche d'une éventuelle maladie, je fus soudain interrompu dans ma progression par une présence indéterminée qui me fit sursauter. Déjà mes yeux portaient vers le sol où je découvris que ma crainte instinctive devait être partagée. Sur un tapis d'herbes clairsemées, un tout jeune chevrillard était couché, la tête droite, l'oeil ouvert, mais d'une immobilité impressionnante. Son pelage brun foncé marqué de bandes blanches le révélait dans ce faible couvert. Sa mère qui l'avait mis au monde peu de temps auparavant s'était éloignée sans bruit, lui enjoignant de ne pas bouger faute d'être assez rapide pour échapper au danger. Je m'arrachais à ce spectacle rare pour ne pas perturber les règles de transmission de la vie.

Depuis le début du printemps, j'assiste, surtout chez les oiseaux, à la lutte pour la reproduction. Pour échapper à leurs prédateurs, les oiseaux usent de nombreux stratagèmes. Nombreux sont ceux qui viennent nidifier à proximité des activités humaines où les prédateurs ne viendront pas les chercher. Les hirondelles ne craignent pas la lumière artificielle !!Les plus connues sont les hirondelles, mais les rouges-queues sont encores plus sociables, n'hésitant pas à nidifier dans des bâtiments presque fermés, tolérant ensuite très mal la présence des hommes dès qu'ils doivent ravitailler la nichée après l'éclosion. Ainsi dans l'atelier, au-dessus de l'établi, entre une poutre et le plafond, j'accueille depuis l'an dernier un nid de ces charmants passereaux qui ne se gênent pas pour nous agresser sonorement quand nous osons nous trouver sur le trajet qui les conduit à leur nichée.

C'est le même procédé de veille sonore qu'adopte le pinson pour défendre son nid contre la pie voleuse, tandis que les hirondelle n'hésitent pas à agresser cette pilleuse de nid en pratiquant au-dessus d'elle un ballet menaçant.

Le comble de la confiance en l'homme fut atteint au mois de mai par un couple de mésanges charbonnières qui vint faire son nid dans une tôle de protection du mécanisme de rotation de la scie à grumes. Nous apercevions bien une mésange s'envoler lorsque nous mettions en route la machine, mais nous n'imaginions pas qu'elle pouvait continuer à couver. Il est vrai que l'activité de sciage n'est pas permanente et les répits assez nombreux ont finalement permis l'éclosion des oisillons. Nous avons alors décidé de ne plus scier pour permettre à la couvée de croître puis de s'envoler. Nous avons ensuite ôté le nid et repris le sciage. Mais les petites bêtes entêtées ont voulu reconstruire un nid au même endroit, ce qui a provoqué le drame illustré par la fable suivante :

Yves VUILLIOT (24 juin 2002)

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Découvertes de printemps

Quand la terre travaillée par le passage de l'hiver se livre au travail du semeur, elle offre, à l'oeil de celui qui sait l'observer, des parcelles de son histoire.

Jadis, au cours des démarriages et désherbages de betteraves, à la binette, toute la surface des champs était parcourue par les ouvriers. Mais le travail à tâche ne laissait pas beaucoup de loisir pour l'observation du sol. Pourtant, Victor Doyen, qui avait l'oeil vigilant, avait trouvé plusieurs pièces de monnaie de différentes époques.

Quelques obus trouvés dans les champsMais, avec la mécanisation de l'agriculture, le contact direct avec la terre s'est raréfié. Il faut être attentif lors du travail des terres et de l'observation des cultures au printemps. Les objets se détachent facilement de la terre travaillée par l'hiver et les outils de travail du sol, la herse notamment, les ramènent à la surface du sol.

Il faut alors compter sur le hasard et un oeil exercé pour trouver des objets qui appartiennent à l'histoire des lieux :

- objets agricoles : morceaux de chaînes, rondelles, dents d'outils cassées. Fers à chevaux, à boeufs, voire à chaussures. Boulons ou éclisses des voies de chemins de fer à betteraves (Décauville).

- Débris de construction : tuiles et briques, quelquefois de l'époque gallo-romaine. Pierres blanches ou grès taillés.

Objets plus rares : quelques pièces de monnaies ou des silex préhistoriques. C'est alors un moment d'émotion difficile à définir, même si la pièce est de faible valeur, car c'est une parcelle de ceux qui nous ont précédés qui se révèle à nous.

Mais les objets les plus courants dans notre terre sont les reliquats de la première guerre mondiale. Il reste une dizaine de casemates en béton sur le terroir de Chantrud et les terres sont parsemées d'éclats d'obus provenant des combats d'artillerie d'octobre-novembre 1918 et accessoirement des éclats de la défense anti-aérienne allemande du camp de Samoussy pendant la 2e guerre mondiale. Il arrive encore que les outils remontent un obus complet, mais il n'y a heureusement jamais eu d'accident à cette occasion.

Il est déplorable de constater que la société de consommation contribue, maintenant, du fait des emballages (bouteilles, boites, cartons, sacs etc.), à augmenter la diversité des objets que l'agriculteur doit retirer des champs et des bordures de chemins. Espérons que le ramassage sélectif et la prise en compte de l'écologie dans la vie quotidienne viendront à bout de ces mauvaises pratiques.

Yves VUILLIOT (5 mai 2002)

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Le génie du labyrinthe

Au pays du ruisseau qui chante vivait un génie insouciant. Il aimait écouter le chant des oiseaux, guettait la floraison des arbustes et le ballet des insectes, effrayait les lapins ou les perdrix. Il aurait été totalement heureux sans les tracas que lui causait la fée "binette". Elle fréquentait souvent les lieux et ne supportait pas la notion même de bonheur

Elle excitait les abeilles quand le génie allait faire provision de miel, jetait des cailloux dans l'eau quand il buvait au ruisseau ou déchaînait le vent quand il courait dans les arbres à la poursuite des écureuils. Le doux réveur ne manquait pas de lui rendre coup pour coup. Il avait brûlé le balai de la mégère, et lui tendait quelques pièges qu'elle n'arrivait pas à déjouer. Cela le faisait bien rire, mais ça n'était pas dans sa nature, il aurait préféré vivre tranquille dans son petit paradis.

La sorcière au contraire voulait se débarasser de lui pour pouvoir asservir tous les complices du génie et en tirer profit.

Au centre de la terre, près de l'enfer ou Vulcain avait installé ses forges infernales se trouvait l'atelier de Silicain où l'on fabriquait des pierres. Silicain cherchait toujours des bras pour battre le sable et le transformer en grès. Binette résolut donc d'attraper le génie et de le livrer à Silicain.

Enfermé dans les grottes de sable, il n'y avait plus de bonheur pour l'insouciant esprit des bois. Il était condamné à frapper sur des masses de sable pour les transformer en grès. Mais il n'avait pas le coeur à l'ouvrage. Silicain lui avait dit :" il y a 3 sortes de grès : les pifs, très durs qui sonnent comme du cristal, les pafs moins durs et enfin les pofs qui cassent au premier coup de marteau. Si tu fabriques 3 pifs, je te relâcherai. Mais le génie pleurait car il ne frappait pas assez fort sur le sable et ne fabriquait que des pofs.

Il pensait "Je ne sais pas fabriquer des pifs et ne reverrai jamais mon beau pays du ruisseau qui chante". Alors un jour que Silicain était parti livrer des pierres, l'esprit retrouva sa malice et s'enfuit. Il courait dans le dédale des galeries et son instinct lui indiquait la direction de l'air libre. Mais Binette avait perçu son absence et prévenu Silicain qui transforma le génie en pierre.

Ainsi presque parvenu à la surface de la terre, il entendait les chants des oiseaux, le cri des charretiers et le hénissement des chevaux, mais il ne pouvait plus bouger. Parfois le soc d'une charrue lui frottait le dos. Un jour, un choc brutal le réveilla. Un fer de charrue était venu se ficher dans son flanc et il entendait les cris du laboureur qui haranguait ses chevaux pour sortir de ce mauvais pas. Mais la sorcière les effarouchait et ils ne voulaient plus avancer.

Deux moines de la prévôté de Chantrud qui se rendaient à leur ferme passaient sur le chemin. Le laboureur vint à leur rencontre et leur exposa sa situation. Les frères Simon et Jude se rendirent sur les lieux. A leur vue Binette voulut se sauver et les chevaux se mirent à tirer avec une telle vigueur que le grès sortit de terre et qu'ils l'emmenèrent jusqu'en bordure du chemin, écrasant la sorcière dans leur élan. Pour la première fois depuis longtemps, le génie aperçut le jour, il était débarassé de celle qui l'avait tant fait souffrir, mais il restait prisonnier du grès. Le laboureur récupéra sa charrue sans comprendre par quel miracle les chevaux avaient pu déplacer une telle pierre. De nombreux curieux vinrent voir le gros grès, puis il tomba dans l'oubli.

Ce n'est que de nombreuses décennies plus tard qu'un paysan de Chantrud, vint accrocher l'énorme pierre pour l'emmener à l'entrée du labyrinthe de l'arboretum, où le génie pourra encore déployer sa malice.

Yves VUILLIOT (17 mars 2002)

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Tempête

Le pire ennemi de l'arbre, c'est le vent. Bien sûr des arbres meurent par maladie, manque ou excès d'eau, attaque de parasites, mais l'ouragan des 26 et 27 décembre 1999 nous a rappelé le danger du vent.

Auparavant, dans le nord de la France, nous avions déjà connu les tempêtes de janvier et février 1990, plusieurs forts coups de vent qui s'étaient succédés accumulant plus de dégâts que le récent ouragan qui a peu touché le nord du département de l'Aisne. Alors, nous avions dû remettre plusieurs fois des tuiles sur les bâtiments de Chantrud et remplacer des tôles, la cabane de la bascule s'était envolée. Dans les bois, 7 épicéas étaient tombés, car plantés dans un sol trop humide. Ailleurs, beaucoup de peupliers, résineux ou hêtres étaient tombés.

A Chantrud, les turbulences de l'année 1999 ont commencé à la Saint-Louis, le 25 août, lorsqu'une tornade, née dans le Laonnois, a fait des ravages en remontant jusqu'à Vervins. Premiers baliveaux courbés et peupliers cassés. Le matin du 26 décembre, en 1/4 d'heure, un courant d'air d'une violence rare, venu du nord, envola des tuiles du grand hangar et fit pénétrer la pluie dans la maison du bois.

Cliquez pour agrandir Dans le bois et le marais sud, 7 peupliers, une dizaine de grisards et même 4 frênes se sont couchés ou brisés sous cette poussée brutale venue d'une direction inhabituelle. Dans le marais nord, une vingtaine de peupliers sont tombés comme un jeu de quilles. Le premier moment de stupeur et de découragement passé, nous nous sommes attelés à récolter et vendre ce qui pouvait l'être dans de bonnes conditions. Nous avons scié ou passé en bois de chauffage le surplus, puis nettoyé pour le mieux. Dans le marais nord, le niveau de l'eau ne nous a pas permis d'accéder pour récolter les arbres les plus éloignés de la bordure.

Nous avions remis ce travail à l'été 2001, mais sans penser que nous n'avions pas encore touché le fond de l'abîme. En effet, dès la Toussaint 2000, des coups de vent ont commencé à casser de nouveaux peupliers. Puis au cours du printemps et de l'été, les arbres, aux larges houppiers couverts de feuilles, déstabilisés par la tempête, les racines baignant dans une tourbe gorgée d'eau ont continué de tomber ou se briser sous les assauts de tourbillons violents.

Alors la moisson terminée et les travaux des champs bien avancés, nous avons mobilisé notre courage pour faire face à la situation. Cette fois-ci, c'est uniquement le marais nord qui a été atteint. Nous commençons par la "pointe" du bois Marly, une parcelle étroite de moins d'un hectare ou un tiers du peuplement est atteint. C'est sur le tas que nous établissons la stratégie. Il n'y a pas le choix, il faut faire de la place. Enlever les premiers pour pouvoir accéder derrière. Il faut déjà couper les bois tombés sans les éclater et sans coincer la tronçonneuse. Une fois l'arbre "décollé", la souche retombe maladroitement dans son trou en faisant gicler l'eau qui l'a envahi. C'est grâce au treuil que nous pouvons extraire les arbres de leur milieu humide sans prendre le risque de s'enterrer. Nous les attachons par la tête ou par le pied, comme ça convient le mieux ; et si nous pouvons sortir les branches avec le tronc, cela libère du terrain. Nous couperons le bois de chauffage en mètres et les branches seront broyées pour fournir du compost. Quant aux grumes, elles partiront à la scierie.

Enjamber les branches entremêlées, s'empierger dans les taillis couchés, encaisser le rebond d'une branche, s'enfoncer dans la tourbe liquide en tirant le câble sur des dizaines de mètres, butter dans les souches soulevées, vouloir éviter les rares baliveaux épargnés dans ce paysage de bois mutilés, c'est le lot quotidien de ce travail qu'on ne voudrait pas faire si l'on était payé pour. Mais on le fait quand même, par devoir ou par respect, en pensant à tous ceux qui ont connu pire situation que nous. Nous pensons aussi à ceux qui ont transmis et à ceux à qui nous voulons passer un relais qui ne soit pas une charge, mais un espoir. Car la graine mise en terre, la sueur versée ne sont jamais des garanties d'un avenir assuré, elles sont seulement les jalons mis en terre pour marquer le chemin qui y mène.

Quand nous sortons le 41e et dernier arbre de cette coupe forcée, c'est un soulagement, presqu'une fierté. Il n'y a pas eu de blessé. Nous n'avons pas cassé de matériel, juste usé. Mais le plus difficile reste à faire. Nous continuons le travail dans la parcelle voisine de l'abreuvoir. Dans des conditions encore pire car plus de la moitié des peupliers est par terre et la distance d'exploitation est plus longue. A ce jour nous avons sorti 32 arbres et il en reste encore plus dans un enchevêtrement qui ne nous permet pas de faire un inventaire. Mes pensées vont vers tous ces bûcherons qui ont passé des mois à exploiter des châblis et vers ces sauveteurs qui remuent les décombres à la recherche non plus de bois, mais de vie.

Yves VUILLIOT (20 octobre 2001)

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Le temps des Tracteurs à chenilles

En cherchant quelques planches de bois pour une fabrication, j'ai remué un tas de vieilles planches en pensant que si je n'y trouvais pas mon affaire, je m'en servirais pour allumer le feu.

C'est sans doute ce qui finira par arriver. Mais attention, quand on remue le passé, les souvenirs resurgissent. C'est ce qu'il n'a pas manqué de se passer quand j'ai saisi plusieurs planches maculées de cambouis et arrachées, striées latéralement.

Nous étions dans l'ancien garage des tracteurs à chenilles et ces planches étaient celles qu'on disposait sur le sol et en travers de la route pour éviter que les chenilles métalliques n'abîment le ciment ou le goudron. Une fois ces premiers monstres de la mécanisation agricole arrivés dans les chemins de terre, il n'y avait plus de risques. Ces tracteurs de fabrication américaine "MacCormick" n'étaient utilisés que pour le travail du sol et ne rentraient pas forcément à la ferme tous les soirs. Ils étaient alors consciencieusement bâchés. Ils passaient d'un champ à l'autre au fur et à mesure de l'avancement des travaux. L'entretien était d'ailleurs important au niveau des chenilles qui souffraient de toujours travailler dans la terre. C'étaient des tracteurs sans cabine ou avec une cabine sommaire qui intriguaient beaucoup les enfants que nous étions car ils n'avaient pas de volant, le changement de direction s'effectuant avec deux leviers qui bloquaient l'une ou l'autre des chenilles. Leur principal avantage était de ne pas abîmer la structure des sols en raison d'une pression bien répartie sur l'ensemble de la surface des chenilles.

Ces tracteurs n'avaient pas de bras de relevage, aussi le matériel qu'ils tiraient était un matériel traîné. Les matériels n'avaient pas beaucoup évolué depuis les chevaux, sauf la dimension. Le plus impressionnant était la charrue balance. C'était une fabrication "Demblon" de Soissons à 2 ou 3 fers portée par des roues métalliques et qui basculait en bout de champ à l'aide d'une chaîne.

Il y avait aussi à Chantrud jusque dans les années 60 deux GMC de l'armée américaine, rachetés après la libération qui permettaient de transporter 5 tonnes de blé et roulaient vite sur la route, mais qui consommaient beaucoup d'essence.

La modernisation progressive des tracteurs à roues allait envoyer tout ce matériel à la retraite, non sans regrets, à cause des services rendus.

Yves VUILLIOT (7 septembre 2001)

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De l'utilité des poteaux électriques !

Des lignes électriques, me direz-vous, c'est fait pour transporter le courant.

Ce confort qui nous parait banal, était encore un luxe au début du XXe siècle. A Chantrud, l'électricité arriva au cours de la première guerre mondiale et les militaires allemands eurent la condescendance de faire bénéficier mes arrières grands-parents de l'électricité en 1917.

Pour acheminer le courant électrique, la voie aérienne était le moyen le plus commode et le moins onéreux. Jusqu'à ce que certains amoureux du paysage, dont je fais partie, osent penser que les lignes électriques sont laides, qu'elles gênent les travaux des champs et qu'elles n'ont d'utilité qu'en tant que perchoirs à hirondelles.

Electricité de France a donc fait des efforts pour enterrer les lignes ou pour rationaliser les réseaux de desserte.

Ainsi, à Chantrud, jusque 1987, 9 poteaux agrémentaient les champs et les pâtures de leurs structures rigides. La réorganisation entreprise alors a permis qu'il ne subsiste qu'un seul poteau à l'intérieur des champs. Plus gros, bien sûr, mais les autres ont été placés en bordure de chemins et, en attendant l'enterrement des lignes, nous nous en contentons.

La nature fait bien les choses
Sureau en fleur au pied d'un poteau électrique

J'avais même remarqué qu'au lieu-dit "le bas des riez*", à l'emplacement d'un poteau arraché en bordure de chemin, subsistait un petit buisson que nous avons minutieusement entretenu pour servir d'abri à perdrix dans cette plaine très dénudée.

Quelques années après, j'ai vu le même phénomène se reproduire au pied de nouveaux poteaux installés en bordure de chemin, lorsque les services de l'E.D.F. ne déversent pas de désherbants et que les broyeurs ne peuvent approcher. Sans se faire remarquer, les graines d'arbustes qui parviennent à germer, installent leurs rejetons à l'abri de ce corps étranger qui les abrite bien involontairement.

Les plus hardis sont les sureaux dont les oiseaux sont friands, rejetant les graines dans la nature après avoir ingéré les baies. Mais la présence d'un arbuste est un lieu de rencontre pour les oiseaux et bientôt d'autres graines germeront. Les compagnons habituels du sureau qui sont dans nos sols calcicoles : le prunellier, le cornouiller sanguin, l'aubépine, l'églantier vont progressivement former un buisson impénétrable où les oiseaux vont pouvoir s'abriter, se nourrir et nidifier.

Mais attention, il faut prendre soin de tailler ce charmant rendez-vous d'oiseau pour lui éviter la punition vengeresse d'un broyeur à fléau prétendant pulvériser tout ce qui dépasse la norme.

En attendant, merci, non pas à EDF pour ses poteaux, mais à la nature pour savoir si bien tirer parti des rares espaces de liberté qui subsistent dans nos plaines.

Yves VUILLIOT (21 juillet 2001)

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*un riez est une terre qui, jadis, était souvent laissée en friche car de faible fertilité.)

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M. Edmond Dupérier

Edmond Dupérier lors de la bénédiction du calvaire
à Chantrud le 15 Août 1912

Né en 1899, il aimait dire qu'il n'était pas du siècle.

Il était fils du boulanger de Grandlup, où son frère Anatole sera également boulanger.

Edmond a choisi de devenir charcutier. Après avoir appris le métier, il s'installe à son compte à Montcornet, entre les 2 guerres.

C'est l'époque où les artisans de la viande vont acheter les bêtes dans les fermes et les tuent dans un abattoir situé à l'arrière de leur magasin. Il fallait se lever tôt pour préparer la viande et les charcuteries. Mme Dupérier tenait le magasin qui n'était pas chauffé, même en hiver. Lui faisait les tournées.

A la fin des années cinquante, M. Dupérier cède le commerce de Montcornet et vient prendre sa retraite au pays de son enfance : Grandlup.

Là il ne reste pas inactif. En plus de l'aménagement de la maison et du jardin, il continue de tuer des cochons et faire la charcuterie pour des particuliers.

C'est la vulgarisation du congélateur dans les années 1970 qui va relancer cette activité.

Jusqu'alors, il fallait conserver la viande dans du sel ou la stériliser et beaucoup de particuliers avaient abandonné ces pratiques.

A plus de 70 ans Edmond Dupérier exerçait encore avec vivacité, nullement handicapé par sa petite taille. Artisan consciencieux, il travaillait avec méthode et précision.

Le sacrifice du cochon est un rituel.

Le porc à peine sorti de sa cage est assommé d'un coup de masse sec et précis entre les deux yeux. Le cri bref laché par la victime provoquait un mouvement de recul chez les enfants qui, toujours friands d'épier le travail du charcutier, s'étaient agglutinés derrière la porte du cabarot *

Mais déjà le cochon est tombé sur le flanc et d'un geste précis M. Dupérier lui tranche l'artère du cou et récolte dans une poële le sang qui servira à la fabrication du boudin. Plusieurs litres seront récoltés et une patte antérieure est utilisée comme un bras de pompe pour extraire les derniers flots de sang.

"Tu vois", disait M. Dupérier en brandissant le petit couteau, usé par les affûtages, avec lequel il venait de percer la carotide, "ce couteau-là c'est le saigneur (avec un "a"), mais c'est aussi un seigneur (avec un "e") car il ne sert à rien d'autre".

Aussitôt tué le cochon est placé sur une civière pour aller faire sa toilette. Jadis, il était ébouillanté et les "soies" étaient récoltées pour faire des pinceaux. Maintenant les poils sont brûlés. Pour cela, le porc est étendu sur un lit de paille auquel il est mis feu. Ensuite, arrosé d'eau, il est gratté pour enlever les poils restants et la couenne grillée, afin d'être propre pour la découpe.

Cochon grillé

Mr E. Dupérier (à gauche), à Chantrud,
derrière le cochon qu'il vient de griller sur un lit de paille.
(mars 1973)

Maître goret sera pendu par les pattes de derrière pour être vidé et fendu en deux. Les boyaux sont récupérés, nettoyés, grattés et mis dans la saumure pour servir aux saucisses, andouillettes, boudins. Les poumons seront suspendus après avoir été regonflés et ficelés La carcasse sera suspendue pendant une journée au frais pour que la viande raffermisse.

Le travail reprendra le lendemain. La viande maintenant ferme et froide est découpée en rôtis, escalopes, côtelettes. Des noix de jambon sont gardées pour être mises en saumure. Quel beau et bon jambon blanc avec des reflets cuivrés, jamais rose et huileux ! Certains seront fumés à la sciure de bois (hêtre ou charme de préférence car il ne faut ni tanin ni résine). Les jarrets feront des jambonneaux et les pieds après avoir été fendus seront ficelés et cuits avant d'être roulés dans le jaune d'œuf et enduits de chapelure fine.

"Dans le cochon tout est bon". Tout au long des préparations M. Dupérier s'ingénie à répartir le moindre morceau de viande, d'abat, de gras ou de couenne pour faire du pâté, du saindoux, du fromage de tête, des andouilles, des saucisses, du boudin. Même les oreilles et la queue iront pour la soupe.

S'affairer n'empêche pas de parler. Edmond Dupérier n'en était pas avare. Chaque phase de préparation lui rappelait une anecdote qu'il ne manquait pas de relater avec cet humour d'artisan qui ne froissait personne, même s'il moquait quelqu'un. Anecdotes d'apprentissage, histoires de guerres, ragots de villages, nouvelles du jardin, avatars rapportés de tournées, exploits ou aventures de chasse, tout était bon pour empêcher le silence de transformer le labeur en pensum.

La seule phase qui faisait pleurer était la fabrication du boudin quand il fallait éplucher et émincer les oignons tandis que la marmite dans laquelle fondait la graisse crépitait sur le feu de bois. Après avoir retiré la provision de saindoux, les "grillons" étaient prélevés de la graisse pour entrer dans la fabrication d'un boudin que M. Dupérier mettait en boyaux après avoir trempé le doigt dans le faitout pour goûter que la préparation était à point.

Il était appelé aussi pour découper des moutons ou du gibier, mais rien ne le motivait autant que la charcuterie.

Véritable artiste de la préparation culinaire, il quitta Grandlup avec sa femme en 1977 pour aller se retirer près de leurs fille et gendre, pâtissiers à Mauriac dans le Cantal. C'est là-bas qu'il est mort en 1992.

Lui qui se plaisait à dire "Si tous les cochons que j'ai tués venaient à mon enterrement, il n'y aurait plus de place dans l'église" devait avoir gros cœur de vieillir loin du pays où il avait tant œuvré à les transformer en plaisirs gastronomiques.

Yves VUILLIOT (24 juin 2001)


* Petit local fermé par une porte coupée en 2 battants qui servait à isoler les chevaux ou autres animaux.

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Quelle saison !

Nous pensions en avoir fini avec l’excès d'eau après cet automne 2000 qui a tant fait souffrir le matériel, la terre et le moral des hommes. Pourtant, ce printemps n'est pas en reste. Les nappes débordent dans les champs de bassière, trouant la plaine de plans d'eau.

Les travaux des champs, il a fallu les faire dans l'urgence entre deux périodes de mauvais temps. A tel point que les meilleurs agriculteurs se sont surpris à faire un travail indigne de leur réputation tant le temps passe et qu'il faut bien avancer.

Imaginez les semis de betteraves : un rituel dans notre région. Ils sont souvent finis pour Pâques (le 15 avril cette année) et s'effectuent pour partie pendant la semaine sainte alors que les prunelliers sont en fleur et qu'un vent glacial balaye les champs.

Cette année le matériel, prêt à entrer en action, est resté longtemps en attente. Les plans de semis les mieux échafaudés se sont noyés dans la pluie. Les téméraires qui ont pu semer des terres légères au mois d'avril ont vécu dans la crainte d'une dossée (averse que l’on prend sur le dos) ou d'une panne, mécontents de leur ouvrage car la terre n'était pas encore vraiment amoureuse. Mais, au moins, ils avaient "avancé du travail".

Pour d'autres, il serait bien temps de s'y mettre quand le temps serait remis et alors, "ça irait vite". Ce fut pourtant le cas. Du 5 au 10 mai presque toutes les betteraves furent semées, par un temps lourd, chaud mais rarement ensoleillé.

En quelques jours, la terre trop grasse est devenue sèche. Certains demanderont bientôt de l'eau.

Un signe de la nature me parvient, transporté par les airs. Une odeur tenace, enivrante, à faire basculer la saison. Je l'ai bien reconnue, l'aubépine, compagne du mois de mai, qui bientôt inondera les haies de ses fleurs en cascades. Elle revêt sa parure immaculée pour fêter l'arrivée du printemps. La pluie ne sera plus comme avant, elle sera tiède et intermittente. Mais attention, elle peut être violente.

Les betteraves que nous avions semé tôt l'an dernier avaient 6 à 8 feuilles le 11 mai quand un orage de grêle les a déchiquetées et raviné les champs. Cette année, à la même époque, la plupart des betteraves ne sont pas levées.

Betteraves grêlées

En 1999, les betteraves déjà grêlées le 11 mai, furent à nouveau déchiquetées par un violent orage de grêle le 3 juin.

D'autres maux nous attendent. Une compagnie de sangliers nichée dans un champ de colza a dévasté le champ de maïs voisin. La semence a été avalée avant même de germer. Il faudra clôturer et semer à nouveau.

Chaque saison a ses plaies, mais aussi un baume pour les guérir ou les apaiser. Soyons un baume pour ceux dont les plaies trop profondes ne peuvent guérir sans aide.

Yves VUILLIOT (11 mai 2001)

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La vieille pancarte

En réaménageant le grenier poussiéreux où dorment encore les rares objets démodés que je n'ai pas encore débusqués à la ferme, j'ai été attiré par une pancarte de petite dimension fixée sur un pied de bois mal dégrossi et maintenant vermoulu.

Au-delà du pittoresque de la découverte, c'est l'inscription sur la petite planche de bois qui m'a surpris. Après avoir essuyé l'épais tapis de poussière accumulé par le temps, j'ai pu lire, inscrit en noir au pochoir sur fond blanc "FIÈVRE APTEUSE". Les lettres ayant subi les intempéries ne sont plus très lisibles, mais la faute d’orthographe révèle peut-être le malaise d'une épreuve qui a affecté la ferme. Cette plongée dans le passé m'a ramené cruellement au présent avec cette grande peur qui réapparaît. Mais revenons au passé.

Les renseignements glanés auprès des anciens m'ont appris que l'épizootie avait eu lieu vers 1936. Les troupeaux atteints devaient se signaler, ce qui est à l'origine de la pancarte, et isoler leurs bêtes. A l'époque l'élevage existait dans toutes les fermes. Il y avait notamment à Chantrud plusieurs centaines de moutons de race "Ile de France". C'est dans ces moutons que la maladie apparut. Pour éviter qu'elle se transmette aux autres animaux et notamment aux bovins, mon grand-père, Lucien VUILLIOT, décida de les isoler en les parquant dans la plaine.

Le système du parcage consistait en la mise en place dans les champs d'un enclos constitué de claies en bois où les moutons étaient enfermés la nuit. La journée, les moutons parcouraient les champs après récolte pour se nourrir des repousses et fumer la terre, sous la surveillance du berger et des chiens qui dormaient la nuit avec le troupeau. Chaque jour il fallait déplacer l'emplacement du parc.

La présence d'un "bouc"(mâle de la chèvre) était censée protéger des maladies. Aussi mon grand-père en avait-il un dans son troupeau. Au cours de l'épizootie, il mourut de la fièvre aphteuse, par contre en quelques mois les moutons furent tous guéris et la grande peur disparut.

Yves VUILLIOT(17 mars 2001)

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